Syrie – « Je suis ici parce que mon peuple souffre »

Mark Riedemann, AED International

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©AED/ACN

Adaptation Robert Lalonde, AED Canada

« De nombreux musulmans hésitent désormais à se déclarer musulmans et j’en ai entendu plusieurs me dire : « J’ai honte – je ne comprends pas que l’islam soit comme ça ». Je pense donc que c’est le bon moment pour un vrai dialogue. Je pense que c’est peut-être le jour du Seigneur. Je dois donc prendre ma croix en main et recommencer ma mission. Même si j’ai 70 ans, j’ai l’impression d’en avoir 45. » C’est par ces mots que l’archevêque gréco-catholique d’Alep, Mgr Jean-Clément Jeanbart, a exprimé son attachement envers ceux qu’il appelle « son peuple », lors d’une visite à l’Œuvre catholique de bienfaisance Aide à l’Eglise en Détresse (AED).

Lutter pour survivre

La guerre en Syrie dure depuis maintenant trois ans. La souffrance est indicible, la dévastation terrible. Des centaines de milliers de familles sont en deuil et il y a des millions de réfugiés qui ne savent plus où aller et se cachent chez eux, chassant jour et nuit pour nourrir leurs enfants. Mgr. Jeanbart explique qu’une politique barbare de la terre brûlée n’a rien laissé intact sur son passage – des milliers d’industries ont été endommagées et des dizaines de milliers d’écoles, hôpitaux et dispensaires ont été détruits. « Toutes les structures et infrastructures, tout le patrimoine, toute l’industrie – ils ont détruit toutes les sources de revenu de ces personnes. Les gens n’ont aucun moyen de vivre dans les villes. Bien sûr, à la campagne, ils sont agriculteurs et peuvent vivre, mais dans les villes… Alep a perdu 1400 structures industrielles, c’est une grande souffrance. »

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La population chrétienne ne s’en est pas non plus sortie indemne. Avant la guerre, il y avait environ 150 000 chrétiens, déclare l’archevêque, et Alep abritait de nombreuses églises, desservant une communauté chrétienne présente dans la ville depuis le troisième siècle. Il reste aujourd’hui environ 100 000 chrétiens, qui luttent pour survivre. Avec une inflation à 200 %, le maigre revenu gagné ne permet pas d’acheter beaucoup de choses, et c’est à ces familles que l’Église catholique fournit des paniers alimentaires d’urgence. 1 400 familles reçoivent du pain, de l’huile, du sucre, du riz, du beurre, des pâtes, du thé et des gâteaux tous les jours. « Tout ce que nous fournissons a un lien avec le pain, car c’est ce qu’il y a de plus nourrissant », dit Mgr Jeanbart.

Avec la destruction des industries d’Alep, des milliers de pères de famille se sont retrouvés sans travail ni revenus pour subvenir aux besoins de base de leurs familles. « C’est pourquoi nous avons également fourni une aide d’urgence, pour donner chaque mois une somme équivalant à la moitié d’un salaire mensuel. Ce n’est pas beaucoup, mais 400 familles chrétiennes bénéficient de ce soutien financier et, avec l’aide de Dieu, nous espérons continuer jusqu’à ce que les pères de ces familles retrouvent du travail ».

Les musulmans remarquent la charité chrétienne

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Mgr Jeanbart explique que les structures de l’Église ont également été prises pour cible. Plus de 18 bombes ont heurté et endommagé la cathédrale et l’archevêché situé à moins de 300 mètres de la ligne de démarcation dans la vieille ville. L’église Saint Michel a été frappée par deux roquettes, l’église Saint-Démétrios, située dans un quartier le long de la ligne de démarcation, a été la cible d’un certain nombre d’obus de mortier et l’église du village de Tabaka est en ruines.

« Je suis ici parce que mon peuple souffre », déclare Mgr. Jean-Clément Jeanbart d’une voix brisée. L’électricité marche mal et l’eau est de mauvaise qualité. Nous avons creusé trois puits dans trois différentes églises. Dans la cathédrale, nous avons rouvert un puits ancien d’une centaine d’années environ et nous distribuons l’eau à la population. Nous devons faire ce que nous pouvons pour aider ». L’Église catholique fournit également de l’aide aux familles musulmanes, et les musulmans ont remarqué la charité des catholiques. « Il y a beaucoup de musulmans qui disent : Regardez, les prêtres sont ceux qui travaillent. C’est un beau témoignage, et même les musulmans nous demandent d’intercéder pour eux afin de leur obtenir de l’aide de la Croix-Rouge ou du Croissant-Rouge. Ils comprennent que nous sommes une référence en matière de charité et de miséricorde. »

La foi de cet archevêque de 70 ans n’a pas toujours été aussi inébranlable. « Cela fait maintenant 18 ans que je suis évêque. J’ai fait tout mon possible pour aider nos fidèles à rester. Il y a deux ans, j’étais déprimé et ça allait très mal. Mais le Seigneur m’a aidé à voir les choses sous un autre angle, ce qui m’a permis de reprendre courage, de retrouver espoir et de me battre contre la fuite des chrétiens. J’ai réalisé que ce qui se passait ne dépendait pas de nous. Même si les pauvres sont les seuls à rester, nous les aiderons à grandir et à être le peuple dont nous avons besoin comme témoins. J’ai pensé que c’était le moment de travailler ; le moment de se battre. Durant toutes ces années, j’ai attendu le jour de liberté qui nous permettrait, à nous chrétiens, de rendre témoignage du Christ ».

Un optimisme prudent

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Lentement, et uniquement dans certaines grandes villes, un certain niveau de sécurité est en train de s’établir. Selon l’archevêque, les avancées de l’armée gouvernementale ont créé des zones de sécurité. À Alep, de plus en plus de points de contrôle sont en train d’être supprimés. Avec un optimisme prudent, Mgr. Jeanbart se tourne vers l’avenir et commence à le planifier. « Les pauvres, les ouvriers chrétiens, ne trouveront pas de travail quand la paix reviendra. Ils resteront peut-être un ou deux ans sans trouver d’emploi. C’est pourquoi j’ai pensé à lancer un programme de formation aux travaux de construction. »

Les chrétiens, centrés sur l’éducation, ont été historiquement éloignés de l’industrie de la construction. Mgr Jean-Clément Jeanbart reconnaît cette faiblesse et le fait que le domaine professionnel qui sera le plus important est celui de la reconstruction et de la restauration des bâtiments ayant été détruits. « Tout a été complètement détruit ou volé. Quand la guerre s’arrêtera, la reconstruction des maisons commencera immédiatement. Nous devons dès maintenant commencer à préparer les chrétiens à être capables de trouver du travail dans ce domaine. Sans travail, les jeunes partiront. »

C’est avec espoir et des projets plein la tête que l’archevêque a conçu ses plans. « Je demande à l’AED de continuer à être un partenaire dans ce combat. Je veux que vous soyez à nos côté dans ces moments très difficiles – pour aider les gens à rester – parce que vous avez le même objectif. Nous sommes ici depuis 2000 ans. L’Église a grandi en Syrie. Si l’Église est née sur la Croix, ce n’est pas à Jérusalem qu’elle a d’abord vécu. Les chrétiens sont venus en Syrie, à Damas. Saint-Paul n’a pas trouvé de chrétiens à arrêter à Jérusalem, il a dû se rendre en Syrie pour les attraper – cela signifie que deux ans après la résurrection, l’Église était vivante en Syrie. » L’archevêque attend lui aussi cette résurrection.